Irène Frain, l’épicurienne

mardi 31 mai 2011
Par G.D.
Un sourire malicieux sur les lèvres. Un regard qui trahit avant même les premières paroles échangées une rare intelligence.  Une humilité sincère empreinte du souvenir d’une enfance modeste en Bretagne. Peu de temps après la sortie de son dernier opus la forêt des 29, Irène Frain, romancière de talent et infatigable globe-trotteuse, nous recevait dans l’intimité de son salon parisien pour parler de vin et de gastronomie.
CVF : Vous avez récemment présidé l’un des jurys des Journées Nationales du Livre et du Vin à Saumur, quel rapport entretenez-vous avec le vin ?
C’est mon père qui m’a initié au vin en nous servant les jours de fête un muscadet pour accompagner les huîtres de Belon. Mais c’est mon mari qui me l’a fait découvrir et apprécier : dans les années 1970, je me souviens ainsi que nous étions partis en dégustation dans la Loire à la découverte des vouvray, et à l’époque notre choix s’était porté sur le domaine Huet, alors peu connu. Je ne prétends pas être une spécialiste, mais je bois ce que j’aime : c’est avant tout le plaisir du goût que je recherche dans un vin, dans un plat ou dans leur association. J’aime manger un bon cassoulet avec un vin de Cahors, du chocolat avec un banyuls ou un porto, un curry avec un crozes-hermitage ou encore des biscuits à la cuiller avec du monbazillac.
CVF : Est-ce que vous avez des vins de prédilection ?
En Champagne, je garde un souvenir mémorable d’une verticale de Krug. J’aime aussi beaucoup la maison Taittinger, particulièrement les vieux millésimes de la cuvée Comtes de Champagne. En Bordeaux, j’aime beaucoup Cos d’Estournel, peut-être parce que c’est longtemps resté un vin très lié à l’Inde (ndlr : l’Inde a toujours fascinée Irène Frain) où il était exporté au XIXème siècle. On l’appelait même le Maharadjah à cette époque. J’apprécie aussi le Château la Lagune. L’été, j’aime boire des rosés d’Azay-le-Rideau ou des vouvrays pétillants.
CVF : Quel rapport le vin entretient-il avec votre œuvre et plus généralement avec la littérature selon vous ?
Certains de mes livres parlent de vin, c’est le cas d’Au Royaume des Femmes qui retrace en partie les pérégrinations de Joseph Rock, botaniste, explorateur et géographe sur lequel je me suis beaucoup renseigné. Lorsqu’il a voyagé au Tibet notamment, il avait emmené de grands bordeaux et champagnes dans ses paquets. Je crois en fait que c’est l’art qui réunit vin et littérature : l’écriture est aussi un phénomène de distillation qui vise à retirer la quintessence des choses. Comme le vin, elle est sujette à maturation : il y a des livres qui se lisent jeunes et d’autres qu’il faut savoir attendre.

La bourse ou le vin

samedi 21 mai 2011
Samedi soir en sortant du salon des vins de la Revue du vin de France, dîner en toute amitié avec Maurice Velge du Château Clauzet (Saint-Estèphe) juste en face du palais Brongniart, au Mori Venice Bar. Le vitello tonnato dans l’assiette est déjà froid, ça me laisse le temps d’admirer le beau ténébreux qui se répand dans mon calice ; sicilien magnifique d’âge mûr, musclé, au toucher de velours, 2004 abouti dont les effluves entêtants m’ont fait oublier son nom. A table, on devise du marché bordelais. Maurice Velge a déjà vendu une grande partie de son 2009 à 8,70 € en primeur. Un prix d’une extrême sagesse, le consommateur, lui, le touchera entre 13 et 15 €. Inratable à ce prix : Clauzet est ce que l’on peut appeler un pilier de cave. Jeune, saint-estèphe dans la trame, il est robuste et puissant et, avec les années, s’envole vers plus de lyrisme. 2004 et 2007 goûtés au salon confirment la faculté du vin à devenir plus élégant, subtil et sage dans le temps. On est loin des prix stratosphériques des grandes étiquettes bordelaises dont les sorties en primeur pourraient une fois de plus crever la couche d’ozone déjà mise à mal par le carburant les tracteurs.
Les grands crus de Bordeaux sont sur le marché de la spéculation : justement, au rez-de-chaussée de la Bourse, là où jadis était la corbeille, Angélique de Lencquesaing, d’iDealwine, évoque le phénoménal marché chinois, capable d’englober à n’importe quel prix les flacons griffés du classement de 1855, devenus marques de luxe au même titre que le Kelly d’Hermès, le tailleur Chanel ou Lady Di de Dior, versus spéculation, car le vin, lui, se bonifie avec le temps…

Si la Revue du vin de France fait salon au palais Brongniart, ce n’est que pur hasard et pourtant… On pourrait imaginer les courtiers autour de la corbeille passer des ordres au nom des agents de change (ou du négoce bordelais) pour le compte de riches spéculateurs étrangers… Des bouteilles qui jamais ne seront ouvertes, mais vont voyager de continent en continent, grossir des comptes en banque déjà bien fournis. L’argent a ici l’odeur du vin dont pourtant personne ne profitera. On s’en moque, nous, on goûte du plaisir avec des vins franchement plus abordables (Respide ou Clauzet) car notre luxe, c’est ce rapport prix-plaisir.

Le petit frère du beau sicilien ramène ses épaules musclées, la deuxième bouteille disparaît aussi vite que son aînée. Le Mori Venice Bar était « the place to be » samedi dernier, on y croisait les Dauga, scénaristes attitrés de quelques jolies productions de « vin nouvelle vague » et Julie et Xavier Gonet-Médeville, aux allures glamour des Brandgelina, et dont les étiquettes bordelaises (Respide-Médeville, Les Justices, les Eyrins, Gilette) et champenoise (Gonet-Médeville) grimpent les marches du palais au festival des crus qu’il faut avoir goûtés dans une vie. 

Instant Provençal bis …Terres de rouge

dimanche 8 mai 2011

«Je ne serais pas totalement vigneronne si je ne faisais pas de rouge ! » 

Régine Sumeire, l’énonce comme une évidence. Faire du rouge, c’est aller au bout du cycle que le rosé interrompt, empêchant jus et peau de s’unir longuement. Les noces rouges de la nature sont ici accomplies et donnent de grands et beaux enfants, avenir de la Provence. Si d’aventure la mode cessait, le terroir et ses complices naturels syrah, grenache, cabernet-sauvignon, merlot et mourvèdre relèveraient le gant pour sauver le peuple vigneron provençal. Les vins rouges représentent seulement 10% de la production. Il y a trente ans ils en occupaient 60%. Aurélie Teillaud du château Sainte Roseline croit «en la montée en puissance des rouges » grâce au terroir qui joue pleinement son rôle. 
Certains sont frais et légers, pour la soif, d’autres plus concentrés s’alignent pour la garde. Un potentiel fait de profondeur, de moelleux, de structure et de fraîcheur donne naissance à des vins soyeux, généreux aux tanins enrobés orchestrés par des notes de griottes, d’eucalyptus, des épices douces... 
Parce qu’ils adoraient les vins rouges, Emmanuelle Dupéré et Laurent Barrera sont venus dans le sud pour édifier une maison de négoce haute couture. A l’encontre de la majorité, ils ne font qu’un rosé pour 14 rouges dont l’originale cuvée No Watt, assemblage de deux terroirs, schistes de La Londe les Maures et terre volcanique des contreforts de l’Estérel. Parce qu’il jugeait bordeaux, « uniforme et consensuel », Mathieu De Wulf, agriculteur fleuriste, acquit le Jas d’Esclans près de La Motte pour créer des rouges d’excellence et garantir de l’avenir de sa propriété. Les perles de Régine Sumeire, l’excellence des Confidentielles de Combard redonnent leur rang aux rouges dans la hiérarchie des vins français. A Richeaume Sylvain Hoesch vinifie en liberté pour aller dans le sens de son terroir, il s’est essayé au rosé avec succès, mais la quintescence de son vignoble est rouge. Une poignée de vignerons parmi tant d’autres donne sa légitimité à la couleur. On vient en Provence attiré par le rosé, on la quitte conquis par le rouge.


KV

Retrouver le dossier Spécial Côtes de Provence dans Cuisine et Vins de France sortie de 1/06/2011

Un verre de vin bon pour le bébé à venir

mardi 3 mai 2011
C’est le très officiel Journal of Epidemiology & Community Health qui relance un débat sensible ! Dans une étude récente, des universitaires de Londres et d’Oxford affirment que les enfants de mères qui ont bu du vin occasionnellement pendant leur grossesse paraissent intellectuellement plus avancés !

Ces conclusions iconoclastes sont tirées d’une étude menée sur 11500 enfants nés au Royaume-Uni entre 2000 et 2002. Les mères divisées en plusieurs catégories – non-buveuses, femmes qui ont arrêté de boire durant leur grossesse, buveuses occasionnelles, modérées etgrandes consommatrices – ont répondu à des questions sur le comportement de leur enfantà 3 ans. Puis, à 5 ans, le bambin a passé un test. Résultat : la progéniture des buveuses occasionnelles serait soumise à un risque de difficultés sociales et émotionnelles inférieurde 30% à celle de mères abstinentes. À noter, les buveuses occasionnelles se sont révélées être les plus instruites et de classe sociale aisée. 

Quant aux enfants de grandes buveuses, ils risquent de plus souffrir d’hyperactivité et de problèmes émotionnels. Les scientifiques ne vont pas jusqu’à affirmer que l’alcool favorise le développement de l’enfant. 

Rappelant que le syndrome d’alcoolisation fœtale touche 2000 bébés par an, le ministère de la Santé français préconise l’abstinence durant la grossesse…

Paru dans le numéro 550 de La Revue du vin de France

La langue Dubois : Quand le vin est tiré, il faut le boire.

dimanche 1 mai 2011
Par Guillaume Dubois

Bien du vin a coulé sous les ponts depuis l’introduction de ce doux breuvage dans nos plus communes expressions. Révélateur social, référence française incontestée, le vin parle la langue de Molière et elle le lui rend bien. Mettre un peu d’eau dans son vin s’impose donc pour retrouver les racines d’une vigne qui se nourrit aux fondements de notre langage, et se fraie un chemin à travers les couches de sens entassées sur nos mots. 
L’expression « quand le vin est tiré, il faut le boire » sera donc la première que nous passerons sous les feux des projecteurs de l’histoire et du sens. Les premières traces de ce récurrent poncif datent du XVIème siècle et on en attribue bien souvent la paternité à Jean-Antoine de Baïf, poète de la Pléiade, ami de Ronsard, qui contribua justement à donner au Français (et au passage au vin) ses lettres de noblesses face à un Latin omnipotent. Si l’expression reste pour vous floue, sens dessus dessous, souvenez-vous qu’elle signifie aujourd’hui qu’il faut mener à son terme ce qu’on a commencé
Clin d’œil amusant, cette expression imagée a inspiré plus d’un de nos virtuoses : le bon Alphonse n’est ainsi pas en reste dans ses Lettres de mon moulin qui n’ont jamais pris une ride depuis leur parution en 1869. Mais n’est pas Daudet qui veut et je vous invite à partir à la découverte ou à la redécouverte du Curé de Cucugnan, court apologue à l’ironie savoureuse. Il y est question d’un malheureux curé qui, désireux de ramener ses ouailles dans le droit chemin, prétend un dimanche matin avoir rêvé la veille de Saint-Pierre, pieux mensonge. Il s’est ainsi rendu compte qu’aucun des Cucugnanais n’était jamais allé ni au paradis ni au purgatoire mais… en enfer. Ce que lui a confirmé, dans son fameux songe, un démon : « Ah ! feu de Dieu ! tu fais la bête, toi, comme si tu ne savais pas que tout Cucugnan est ici. Tiens, laid corbeau, regarde, et tu verras comme nous les arrangeons ici, tes fameux Cucugnanais ». Et le curé de conclure son sermont : « Voyez-vous, mes enfants, quand le blé est mûr, il faut le couper ; quand le vin est tiré, il faut le boire. Voilà assez de linge sale, il s’agit de le laver, et de le bien laver ». Le fin mot de cette histoire ? Bien entendu, les craintifs paroissiens apprennent à se montrer plus assidus le dimanche, à l’église du patelin. Et Daudet, en bon narrateur de conclure : « Depuis ce dimanche mémorable, le parfum des vertus de Cucugnan se respire à dix lieues à l’entour. » 

Plus mesuré mais non moins drôle, Marcel Pagnol y est allé de sa plume déliée pour compléter l’expression. Dans César, troisième et dernier volet de la trilogie marseillaise destiné d’abord au cinéma (1936) puis à la scène (1946), il écrit : « quand le vin est tiré, il faut le boire, surtout s’il est bon ». Difficile, vous en conviendrez, de passer après ces trois llustres écri-vins mais le défi a été assez brillamment relevé par le caustique Philippe Geluck à l’occasion d’un énième passage sur les canapés de Michel Drucker. Je vous laisserai donc avec ce bon mot en attendant de vous retrouver pour décortiquer une autre expression du vin : « quand le vin est tiré, il faut le boire. Quand le vin est bu, il faut se tirer.