La langue Dubois : Quand le vin est tiré, il faut le boire.

dimanche 1 mai 2011
Par Guillaume Dubois

Bien du vin a coulé sous les ponts depuis l’introduction de ce doux breuvage dans nos plus communes expressions. Révélateur social, référence française incontestée, le vin parle la langue de Molière et elle le lui rend bien. Mettre un peu d’eau dans son vin s’impose donc pour retrouver les racines d’une vigne qui se nourrit aux fondements de notre langage, et se fraie un chemin à travers les couches de sens entassées sur nos mots. 
L’expression « quand le vin est tiré, il faut le boire » sera donc la première que nous passerons sous les feux des projecteurs de l’histoire et du sens. Les premières traces de ce récurrent poncif datent du XVIème siècle et on en attribue bien souvent la paternité à Jean-Antoine de Baïf, poète de la Pléiade, ami de Ronsard, qui contribua justement à donner au Français (et au passage au vin) ses lettres de noblesses face à un Latin omnipotent. Si l’expression reste pour vous floue, sens dessus dessous, souvenez-vous qu’elle signifie aujourd’hui qu’il faut mener à son terme ce qu’on a commencé
Clin d’œil amusant, cette expression imagée a inspiré plus d’un de nos virtuoses : le bon Alphonse n’est ainsi pas en reste dans ses Lettres de mon moulin qui n’ont jamais pris une ride depuis leur parution en 1869. Mais n’est pas Daudet qui veut et je vous invite à partir à la découverte ou à la redécouverte du Curé de Cucugnan, court apologue à l’ironie savoureuse. Il y est question d’un malheureux curé qui, désireux de ramener ses ouailles dans le droit chemin, prétend un dimanche matin avoir rêvé la veille de Saint-Pierre, pieux mensonge. Il s’est ainsi rendu compte qu’aucun des Cucugnanais n’était jamais allé ni au paradis ni au purgatoire mais… en enfer. Ce que lui a confirmé, dans son fameux songe, un démon : « Ah ! feu de Dieu ! tu fais la bête, toi, comme si tu ne savais pas que tout Cucugnan est ici. Tiens, laid corbeau, regarde, et tu verras comme nous les arrangeons ici, tes fameux Cucugnanais ». Et le curé de conclure son sermont : « Voyez-vous, mes enfants, quand le blé est mûr, il faut le couper ; quand le vin est tiré, il faut le boire. Voilà assez de linge sale, il s’agit de le laver, et de le bien laver ». Le fin mot de cette histoire ? Bien entendu, les craintifs paroissiens apprennent à se montrer plus assidus le dimanche, à l’église du patelin. Et Daudet, en bon narrateur de conclure : « Depuis ce dimanche mémorable, le parfum des vertus de Cucugnan se respire à dix lieues à l’entour. » 

Plus mesuré mais non moins drôle, Marcel Pagnol y est allé de sa plume déliée pour compléter l’expression. Dans César, troisième et dernier volet de la trilogie marseillaise destiné d’abord au cinéma (1936) puis à la scène (1946), il écrit : « quand le vin est tiré, il faut le boire, surtout s’il est bon ». Difficile, vous en conviendrez, de passer après ces trois llustres écri-vins mais le défi a été assez brillamment relevé par le caustique Philippe Geluck à l’occasion d’un énième passage sur les canapés de Michel Drucker. Je vous laisserai donc avec ce bon mot en attendant de vous retrouver pour décortiquer une autre expression du vin : « quand le vin est tiré, il faut le boire. Quand le vin est bu, il faut se tirer.

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