Instant provençal

dimanche 24 avril 2011
Mathieu et Guy Negrel. Photo par Jean-Luc Barde

Je suis née en Provence comme le rosé, mais lui est beaucoup plus vieux que moi.

Lorsque Gyptis, la belle Ligure offre une coupe de vin à Protis, le Phocéen fondant ainsi l’alliance qui conduira à la naissance de la ville de Marseille : dans la coupe des mariés, le vin est rosé. La macération n’était pas la règle et le jus de la liane pressé in petto donnait un vin clair. Depuis le rosé a fait son bonhomme de chemin : né de l’histoire, assigné vin des vacances -celui que les ouvriers buvaient lorsqu’ils abordaient les rives de la côte d’Azur- et promu vin « people » : tout le monde l’aime, c’est certain. Tout le monde en boit c’est prouvé : les compteurs de la Provence sont tous au vert.  Et pourtant, qui le considère comme un vin à part entière? Comme un vin qui vieillit plus de quelques mois en cave, comme un vin qui passe les premiers frimas de l’hiver et se marie  à toutes sortes de cuisine?

Le rosé, on l’aime parce qu’il est frais, léger, fruité, parce qu’on le boit avec désinvolture, parce qu’il est énergie, parce qu’il est rose, parce qu’il est joie, parce qu’il est  liberté, parce qu’il ne pose aucune question… Il y a mille raisons de boire un rosé mais il y a un interdit : y mettre des glaçons. Aucun intérêt à boire le rosé-piscine des plages tropéziennes, rendu flottard par la glace ?

Ayons du respect pour les vignerons de Provence : les vrais, pas ceux qui produisent du rosé au goût standard, aussitôt bu, oublié aussitôt. Car, les grands rosés provençaux peuvent conduire à d’immenses émotions, même très longtemps après leur naissance… Ce fut le cas il  a deux jours. J’étais avec Mathieu et Guy Negrel, dans leur cave à Puyloubier et dans les verres : un rosé 1999, vinifié en barriques. Précieux et radieux, ambre avec des notes de miel et d’abricots confits, des épices et des arômes de menthol, sa dégustation fut un instant de grâce. Ce rosé nous avait attendus pour nous montrer combien l’immédiateté du monde moderne, nous prive d’émotions intenses.

Toutes mes sélections Côtes de Provence rouge, rosé et blanc dans le prochain Cuisine et Vins de France, sortie début juin.

Une soirée (méthode) champenoise

Des inconnus, pas plus cons que mal habillés, des champagnes pompeux, des fines bouchées…  Au Castel Jeanson à Aÿ, la soirée de dimanche dernier s’annonçait intéressante mais coincée et un peu ennuyeuse... Elle a été canon ! Il faut dire qu’avec les vignerons de Terres et Vins de Champagne en maîtres de cérémonie, les fines bouches n’étaient les bienvenues.

Depuis la création de l’amicale champenoise en 2008, Tarlant, Bérêche, Boulard, Agrapart, Bedel et les autres se réunissent chaque année pour présenter leurs vins clairs à de très grands professionnels. Mais pour la première fois, dix-sept des dix-huit bulleurs accueillent quarante-cinq journalistes, importateurs, bloggers du monde entier pour un joyeux moment de convivialité.
En bouteilles, magnums et même jéroboams, les bouchons de dix-huit roteuses sautent uns à uns pour chatouiller dix-huit délices préparées par les chefs marnais et étoilés, Philippe Mille (Les Crayères) et Dominique Giraudeau (Le Grand Cerf). Des alliances classiques mais délicieuses d'un saumon-huitre paré d'un collier de caviar dont l’aneth rappelle le bouquet de tilleul, anisé et citronné d’un Pascal Doquet Mesnil sur Oger 1996 ou d’un boisé élégant et puissant de Laherte 2004 qui propulse des saint-jacques et une crème vanillée à leur fine onctuosité. Plus original, le Tarlant Saga 1994 couche fermement et enlace un Oreiller de la belle Aurore. Entre deux bouchées, les langues se délient, les émotions se partagent. Jordi Melendo de El Mundo est sensible au paradoxal 2001 Risleus d’Hubert Paulet tandis que le Champagne Warrior, Brad Baker, tombe pour les morilles enveloppées d’un Comme autrefois 1998 de Françoise Bedel. Boulard 2005 arrose un homard et une tartelette au chocolat pendant qu'un foie gras saupoudré de céréales buvote un Ecueil 1977 de Pouillon.

La plus grande émotion ne vient mais pas d’un accord mais d’un vin seul.  Minéral 1982 d’Agrapart. Servi en magnum. Toasté, cacaoté, tilleul, cire au nez. Caresse, dentelle, pulpe, crayeux, élancé, délié en bouche.  Un blanc de blancs de grande classe et d'une jeunesse incroyable. Somptueux.

Sur des bulles miellées de Vincent Couche, minuit sonne, les convives regagnent leur chambre avant une longue dégustation des vins clairs 2010.

Un grand merci aux vignerons.

Beau mariage avec un vouvray

mardi 19 avril 2011

                                   

De grands vignerons ont laissé son nom à la postérité, les gastronomes l'adorent car ses multiples variations donnent le tempo à table.

Vouvray est le personnage le plus polymorphe de la Loire. Le sire chenin, son raisin, se plait à pétiller, c'est là qu'on l'attend forcément. En méthode ancestrale ou traditionnelle, sa bulle entre en scène.  Dans chaque cave la moitié de la production pétille, même si les vignerons l'aiment de plus en plus tranquille. C'est donc en sec, demi-sec et en moelleux qu'ils l'emmènent au bal. Vouvray pétillant porte haut les toasts de rillettes et l'apéritif, son acidité allège le gras.Vouvray tranquille danse sur une valse de saveurs sucrées ou salées et prolonge le mouvement dans des finales superbes. Il est ainsi fait qu'il se plait sur les crustacés, poissons de mer, viandes blanches, jusqu'aux excentriques recettes sucrées-salées. Les prétendants se pressent pour lui offrir leur bras et le vigneron heureux de le décliner, joue la partition délicate de ses trois états. Si l'on s'en tient aux millésimes de grandes qualités, voir de ceux que l'on dit solaires, le raisin légèrement botrytisé laisse alors libre cours à l'audace. A l'instar des grands liquoreux, on le débouche sur un poulet rôti craquant sous sa peau ou sur un canard. Toujours une volaille bien cuite dont la chair se détache avec onctuosité pour combler le velours que vouvray développe en son palais. Vouvray né d'un sol calcaire recouvert de silex que l'on baptise « perruche » par endroit,  laisse en bouche, même après le sucre, cette vivacité particulière. Un poisson au beurre blanc sur lequel on pose quelques amandes juste grillées, des saint-jacques en carpaccio aux lamelles de truffes ou une viande blanche lui donnent la cadence. Lors d'une année entre deux ; ni chaude, ni froide, chenin de vouvray joue la carte du tendre, gourmand et nerveux sur des épices. J'ai le souvenir d'un tendre 2009  qui sur un foie gras donna le la d'un accord juste.  Plus simple sur des charcuteries ou des rillons, il sait aussi les accords modestes. Vient le temps des asperges emmaillotées dans un feuilleté, alors c'est la pâte qui lui plait. Voici le sec qui fait claquer la langue aussi bien flanqué d'un vol-au-vent.

Les flacons du jour

Vouvray moelleux - Le Peu Morier 2008  de Vincent Carême
Les vouvrays de Carême sont brillants tant dans leur robe que dans l'intelligence de leur personnalité et jusque dans la finesse des bulles. Issu d'une parcelle particulière : le chenin a pris le botrytis. Il lui donne un nez qui s'ouvre sur la truffe et finit sur les fruits mûrs, le coing et l'abricot. Riche d'une magnifique amplitude , la cuvée s'étire en bouche et claque en finale comme tous les vins de Vincent Carême...

Vouvray sec Renaissance 2009 de Sébastien Brunet 
Sébastien Brunet s'installe en 2006 sur une quinzaine d'hectares. En re-travaillant les sols, il oriente sa viticulture vers plus de naturel et de biologie, pour produire des vins plus francs. Sa cuvée les Arpents 2009  sur un sol de silex offre finesse et légèreté. Son Renaissance un peu plus suave (7 grammes), issu de vielles vignes et de barriques neuves est un sec tendre original, fin en finale, encore boisé.

Vouvray moelleux Emotion 2008 du Domaine de la Poultière
Les vouvrays secs de Damien Pinon et Ingrid Pétrus, sont issus de raisins vendangés manuellement, et de jus vinifiés et élevés finement sur leur lies. Le sec Tuffo est lumineux et riche , mais la cuvée Emotion 2008 avec ses 27 grammes de sucres résiduels est d’une intense finesse à la pointe de lavande en finale. 

Vouvray Brut de François Pinon
Le brut a droit de citer dans cette courte liste car il est admirable en non dosé. Sa bulle et son acidité allègent tout ce qu’il y a de gras à table ou en apéro. En  vin tranquille et en 2009, « Silex noir », c’est le nom du terroir, possède la fraîcheur de son sol froid travaillé depuis toujours, il fait partie de ces vins qui ont encore quelque chose à dire, même la dernière gorgée avalée.

Cuisine de printemps, cuisine de l’amour

lundi 18 avril 2011
Par Guillaume Dubois

Le printemps souvent s’associe à l’idée de renouveau. Les bourgeons pointent sur les tiges, la nature sort de sa torpeur hivernale. Certains de ses sympathiques représentants (les animaux bien sûr) en profitent d’ailleurs pour fêter leurs retrouvailles avec le beau temps, et multiplient les étreintes passionnées qui finiront à n’en pas douter dans un renouveau d’un autre genre.
L’Histoire aussi a naturellement associé printemps et nouveau départ : en témoigne le printemps de Prague, expression emblématique de la libération d’un peuple sous le joug d’un pesant communisme. Que penser d’ailleurs des évènements qui se déroulent actuellement au Maroc, en Libye ou en Egypte ? Mars et avril sont devenus les mois de l’émoi et caressent de leur fol enthousiasme tous les produits de la nature.
Nos terroirs nous sourient ainsi et nous couvrent généreusement des premières fraises et asperges gorgées de soleil de la saison. La mer, elle, demeure une reine sage qui a appris, à la force des siècles, à ne sacrifier qu’un temps durant ses plus savoureux sujets : ainsi la coquille Saint-Jacques tire sa révérence à l’heure où le homard entre en Cène. Bientôt les turbots ou autre Saint-Pierre nous ouvriront les portes du paradis culinaire, apothéose d’une saison dédiée aux plaisirs de l’amour.
Quant à moi, lové sur une terrasse anonyme de Pornic, je contemple les reflets pailletés d’or du soleil qui s’ingénie malicieusement à unir les azurs. Il n’est plus d’horizon, plus de séparation. Sur la table devant moi, la robe éclatante de fraicheur d’un Jacquesson cuvée n°734 se fait l’égal de l’océan et choisit, pour tout soleil, un homard juste grillé à l’huile d’olive de Tolède. Alliance subtile qui, elle aussi, déjoue tout horizon de discorde. L’harmonie des plaisirs est bien en marche, aussi ne me reste-t-il plus qu’à vous souhaiter, chers lecteurs, des émotions renouvelées au gré de cette saison de la séduction. 
  

Le blog-notes

jeudi 14 avril 2011
Journal de bord de la Toile, lieu de l'éphémère, de l'immédiat, de l'instantané ( de l'instant tanné) de l'urgence à dire, les Québécois en appellent au cyber-carnet pour désigner ce blog, contraction de Web et log lequel ne semble pas venir du fond du logos grec mais de l'anglais et signifie, carnet de bord sur internet et à l'occasion registre ou journal. Nous sommes donc là dans une sorte de  « blog-notes » ce qui pourrait le rapprocher, de manière hâtive, du Bloc-Notes de François Mauriac ou  des Choses vues de Victor Hugo. A  propos de choses lues ou à lire, dans un tempo loin de celui évoqué ( dénoncé?) plus haut, Les Idées Claires proposent un entretien que j'ai initié et conduit. Parue dans Le Monde Magazine, datée du 26 mars 2011, cette rencontre entre Jean-Paul Kauffmann et Michel Onfray interroge notamment notre manière d'être au temps  et donc au vin.

Jean-Luc Barde

Bacchus et Brongniart

mercredi 13 avril 2011
Samedi 14 mai, nous fêterons les Mathias et dimanche 15 mai, les Denise.
Dommage pour Bacchus...
Il n'a pas encore son nom dans le calendrier et pourtant ce week-end de mai sanctifie depuis maintenant plusieurs année, le dieu du vin. Ses disciples, presque 300 vignerons feront le pèlerinage jusqu'à la capitale pour exposer au palais Brongniart, ancien temple de la finance, leurs derniers millésimes. Voilà plusieurs années que je soutiens mes copains de La Revue du vin de France dans cette  opération d'envergure qui emmène le vignoble à Paris. Au fil des ans je me suis mise à aimer ce rendez-vous annuel où je retrouve l'ami-vigneron, celui que j'ai croisé récemment au bout d'un rang de vignes ou dans sa cave, aux primeurs ou ailleurs ; celui que je n'ai pas vu depuis des lustres, celui que je ne connais pas encore....  Car c'est tout le chic de ce rendez-vous incontournable proposé par la revue, qui réussit à fédérer autour de ses nappes blanches l'élite et la nouvelle vague du vignoble français.
Pourtant je n'y vais pas tout à fait en "touriste", puisque Cuisine et Vins de France y a aussi son espace, nous sommes partenaires de la fête et accompagnés de nos amis  Poulard  et Jean-Luc Poujauran, nous offrons  aux visiteurs des apéro-dégustation.
Le week-end sera rythmé. En plus des rencontres vigneronnes, amicales et gourmandes ;  les journalistes de La Revue du vin de France animeront des ateliers d'une heure  : les grands crus corses, les chablis grands crus, les découvertes ou encore les vins prestigieux de Bordeaux.
Le site de La Revue de France

Les primeurs à Fombrauge

dimanche 10 avril 2011
C'était le dernier jour des primeurs à Saint Emilion. Quelques amis réunis pour fêter les primeurs de Bernard Magrez et l'anniversaire de Joël Robuchon.
Côté vin, il y avait de quoi faire entre les propriétés bordelaises : Pape Clément, Fombrauge, La Tour Carnet, Les Grands Chênes, les seconds vins, les parcellaires magnifiques, les vins du Sud, les vins étrangers : un  alignement de quilles signés d'un grand maître. Tous n'étaient pas au même niveau. Certains encore balbutiants laissaient entrevoir le futur avec optimisme, d'autres plus amènes affichant avec cérémonie mais brio la classe du 2010. Tendre en milieu de bouche ferme en finale, classique et souvent radieux, du bel ouvrage. Les blancs incisifs pas clinquant pour un sou, vif et tranchant, pape clément blanc au sommet de son art, fombrauge divin...
Sous la tente, Monsieur Magrez est servi, menu d'inspiration robuch'... Les huitres Arcachonnaises grasses à souhait, un foie gras aussi ferme que les blancs du maître de cérémonie, assaisonné avec justesse et une pièce de bœuf à la cuisson irréprochable. Et le gâteau pas du maître-queue mais pour lui, c'est l'anniversaire de Joël Robuchon, son ami  y a pensé, un peu gêné le toqué souffle ses bougies, et le défilé commence... Les japonais, coréens, chinois, brésiliens : ils sont venus, tous là pour être pris en photo avec leur idole, mieux qu'une rock-star, un sourire et 5 minutes après les photos s'affichent sur les écrans du monde entier.
Mais la nature se fiche de l'immédiateté des choses, dehors il fait 28°, les premiers bourgeons sont à la fête et le vignerons perplexe, pense au gel de printemps... Qui vivra verra.

TOP CHEF

mardi 5 avril 2011
Top Chef, j'y étais depuis mon canapé...
Je n'avais encore jamais assisté à aucune émission Top Chef mais vu l'insistance de quelques proches et surtout à la demande de mes enfants chéris, pourtant bien plus motivés par un big mac qu'un bourguignon maison,  je m'y colle hier soir. Par chance c'est la finale...
Je dîne de mes premières asperges, pointe violette sous œufs mollés derrière La Vielle Ferme luberon blanc des Perrin. Un festival de chefs illumine alors la TSF  : chef Marx, chef Lignac, chef  Piège, chef Constant et cheftaine Arrabian... Une armée mexicaine ! En face Stéphanie et Fanny, deux filles en finale font la nique à la parité et préparent pour le quintet de chefs et une centaine de "dégustants" jurés un menu qui fera de l'une d'entre elles, une riche lauréate ( 100 000 E de dotation) . Phénix de leurs menus un loup doré sur  dos, moelleux sur  ventre se laisse déguster avec volupté, mes asperges font le gueule mais le vin m'émoustille, je jubile à ma dégustation virtuelle du menu de Fanny sensible et riche d'émotions, elle emporte les suffrages de se pairs. Le public lui en décide autrement et votera finalement pour sa rivale Stéphanie professionnellement, irréprochable. Décidément entre les professionnels et le public la sauce ne prend pas toujours. En dessert les premières fraises s'ennuient dans mon assiette, elles manquent de douceur mais heureusement j'ai ramené d'un reportage récent, un souvenir de sauternes, un sigalas rabaud bien à son aise en 2007 qui ravive le goût de la belle rouge. Il est minuit je m'endors sur la volupté du botrytis.