Mathieu et Guy Negrel. Photo par Jean-Luc Barde |
Je suis née en Provence comme le rosé, mais lui est beaucoup plus vieux que moi.
Lorsque Gyptis, la belle Ligure offre une coupe de vin à Protis, le Phocéen fondant ainsi l’alliance qui conduira à la naissance de la ville de Marseille : dans la coupe des mariés, le vin est rosé. La macération n’était pas la règle et le jus de la liane pressé in petto donnait un vin clair. Depuis le rosé a fait son bonhomme de chemin : né de l’histoire, assigné vin des vacances -celui que les ouvriers buvaient lorsqu’ils abordaient les rives de la côte d’Azur- et promu vin « people » : tout le monde l’aime, c’est certain. Tout le monde en boit c’est prouvé : les compteurs de la Provence sont tous au vert. Et pourtant, qui le considère comme un vin à part entière? Comme un vin qui vieillit plus de quelques mois en cave, comme un vin qui passe les premiers frimas de l’hiver et se marie à toutes sortes de cuisine?
Le rosé, on l’aime parce qu’il est frais, léger, fruité, parce qu’on le boit avec désinvolture, parce qu’il est énergie, parce qu’il est rose, parce qu’il est joie, parce qu’il est liberté, parce qu’il ne pose aucune question… Il y a mille raisons de boire un rosé mais il y a un interdit : y mettre des glaçons. Aucun intérêt à boire le rosé-piscine des plages tropéziennes, rendu flottard par la glace ?
Ayons du respect pour les vignerons de Provence : les vrais, pas ceux qui produisent du rosé au goût standard, aussitôt bu, oublié aussitôt. Car, les grands rosés provençaux peuvent conduire à d’immenses émotions, même très longtemps après leur naissance… Ce fut le cas il a deux jours. J’étais avec Mathieu et Guy Negrel, dans leur cave à Puyloubier et dans les verres : un rosé 1999, vinifié en barriques. Précieux et radieux, ambre avec des notes de miel et d’abricots confits, des épices et des arômes de menthol, sa dégustation fut un instant de grâce. Ce rosé nous avait attendus pour nous montrer combien l’immédiateté du monde moderne, nous prive d’émotions intenses.
Toutes mes sélections Côtes de Provence rouge, rosé et blanc dans le prochain Cuisine et Vins de France, sortie début juin.
On a hâte de lire cela...